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Encodées (Acte III de L’Eloge de l’invisibilité) – Centre Georges Pompidou – 16 juin 18

Coder / décoder le monde – Forum Vertigo – 15 & 16 juin 2018 – Centre Georges Pompidou, Paris.

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Table-ronde Code et Littérature, animée et organisée par Emmanuel Cyriaque, responsable de la timeline « Littérature » dans l’exposition « Coder le Monde », directeur des éditions HYX. Avec Emmanuel Guez, Nick Montfort, Jörg Piringer, Beat Suter.
Causerie le samedi 16 juin 2018 – entre 14h30 et 16h.

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Encodées. (Acte III de L’éloge de l’invisibilité)

Je suis invité à Beaubourg. Pour une causerie lors d’une table-ronde dont le titre est : « Code et littérature ». La table-ronde du forum Vertigo est retransmise en direct sur le site Web de l’Ircam et archivée. Moi, je préfère ne pas être photographié, filmé et enregistré. Mon hôte me dit qu’il ne coupera pas la caméra. Je propose de faire ma présentation sur et avec le Reading Club, c’est-à-dire sur le Net. Le Reading Club a été choisi pour figurer sur la ligne de temps « littérature » dans l’exposition qui se trouve à l’étage, à quelques dizaines de mètres de la table-ronde. Quoi de plus juste finalement que de parler de l’encodage du réel avec une « machine » d’encodage, ou plutôt de laisser parler – ou de faire parler – elle-même cette « machine » littéraire. J’invite Annie Abrahams à me rejoindre pour cette très courte performance en ligne. Elle est paramétrée pour durer huit minutes avec une limite de 1000 caractères. Pour Annie et moi, la durée est exceptionnellement courte. Jamais il n’y eut de session du Reading Club aussi courte.

Le matin, j’indique à Emmanuel Cyriaque la procédure à suivre pour se connecter à la session et régler la taille de l’écran. Elle doit être vidéoprojetée. A 14h, je me rends dans ma chambre d’hôtel. Une fois de plus, je serai invisible. Il y a une chaise vide sur la scène. Emmanuel annonce mon absence. Annie est en ligne, aux Pays-Bas. Nous attendons le top qui lancera la session. Nous papotons sur le tchat. Cette fois, il n’y a pas de texte à commenter. Je me suis fixé d’écrire au fil du clavier. Sur la mort de l’auteur. Annie interviendra à sa guise au cœur du texte. Vers 15h35, signal d’Emmanuel, je lance la session. Nous écrivons et lisons pendant huit minutes. Le tchat est très actif, mais pour nous, c’est sur le pad que tout se passe.

Je retourne à Beaubourg pour écouter la table-ronde suivante. Je comprends que rien ne s’est passé comme prévu. Emmanuel n’a pas activé la session. La salle n’a vu que le tchat. L’écran n’a pas été correctement réglé. Tout occupés que nous étions sur le pad du Reading Club, le tchat est resté silencieux pendant de longues minutes. La salle s’est impatientée, puis a ri. J’y vois l’ironie des machines. Je ne voulais pas être filmé. C’est la performance elle-même qui n’a pas eu lieu. Personne ne la verra autrement que sous sa forme archivée. Le dernier mot, à notre époque, revient toujours à l’archive. C’est ce que le bug, à situer ici, dans cet acte précis, dans le rapport humain-machine, nous fait savoir. J’ai voulu lutter contre l’archive. L’archive a eu raison de moi.

Le bug est signifiant.  La machine a hoqueté. L’art a été nu et noble. Vivant comme il doit l’être. En mode sans échec, au contraire, l’art est à l’image de nos Apple, jamais défaillant, mais sans autre profondeur que l’écran. C’est de l’art comme activité aliénée dont je parle, de l’art comme publicité, semblable à une newsletter, lisse et efficace. Il faut se méfier de l’efficacité, de ce qui marche sans faillir. C’est le signe de l’ennui ou du divertissement. C’est une invitation à l’engourdissement et la torpeur. C’est l’hypnose qui guette. L’art noble n’est pas cela. Il accueille et ausculte ce qui ne marche pas. Il sait attraper ce qui faillit. Il provoque le médium, qui le lui rend bien. Si l’art est un jeu, c’est un jeu de guerre entre l’humain et, aujourd’hui – car il n’en fut pas toujours ainsi, le médium technique ordinateur.  Le bug est une arme chez les machines. Ce samedi 16 juin, on s’excuse, on invoque des raisons, on se désole de l’échec et de l’erreur. Le happening fut pourtant un immense succès expérimental. Je suis heureux et remercie chaleureusement Sylvie Benoit, de l’Ircam, Frédéric Migayrou et Emmanuel Cyriaque.

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Aucun enregistrement, aucune captation de mon intervention. Happening audible et visible au Centre Pompidou uniquement. L’archive du Reading Club n’est qu’un élément du happening.

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