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Machines d’image // après le white cube, encore un effort…

Toutes les machines d’image agissent sur les images. Adopter telle machine plutôt que telle autre est un acte politique.

machines d'image« Sur les cartons d’invitation au format de carte postale, sur les affiches, sur les plans de salle, dans les catalogues, dans les revues et les magazines, les photographies d’oeuvres d’art contemporaines sont harmonieusement contrastées, parfaitement nettes et d’une luminosité équilibrée. Leurs couleurs et leur forme sont plus réelles que le réel de l’oeuvre elle-même, véhiculant ainsi une esthétique publicitaire de produit de luxe, à l’instar des mannequins aux corps irréelles et des bijoux aux reflets improbables. Minimale, ultra-propre, sur fond blanc – comme les surfaces immaculées des galeries, aseptisée comme une salle d’opération, silencieuse comme un gardien de musée et de centres d’art, l’esthétique de ces images transporte avec elle une vision de l’art et du monde. Un art destiné aux vitrines des Galeries Lafayette, un monde qui a pris l’attention pour cible.

En un siècle, le tourisme est devenu l’une des plus importantes industries du monde. C’est pourquoi les arts sont devenus culture et patrimoine. Une manière de divertir les touristes, les retraités et le week-end les salariés. Ainsi les arts viennent alimenter toute une économie faite de voyages, de plaisirs et de divertissements. L’art contemporain, quant à lui, vient divertir pour l’essentiel un monde d’apparat, de classes first, de champagne millésimé et de visa platinum. Il n’a rien de subversif, même lorsqu’il le prétend – ici un phallus, là un pape à terre. En réalité, il ne s’attaque à rien d’essentiel, de vital pour le monde de puissants qu’il divertit, bien moins hypocrites qu’il ne l’a été. Plus cet art est opaque, plus il est intéressant. Moins il en dit, plus il est censé être riche. Pour rendre encore plus savoureux le divertissement de l’homme cultivé, quelques talentueux et gentils organisateurs savent trouver les mots qu’il faut – tandis que quelques savants esclaves les habillent de concepts pourpres.

Parfois il m’arrive de rencontrer des oeuvres puissantes, qui rivalisent en souveraineté avec les autres forces de ce monde. Il existe un art actuel et exigeant, qui a artistiquement quelque chose à dire de notre époque, du passé ou de l’avenir. Mais, quelle que soit la force de ces oeuvres et leur velleité à agir sur le monde, elles sont trop souvent anéanties par l’esthétique de leur diffusion. Comment des artistes visuels ne voient-ils pas qu’ils sont dépossédés de leurs oeuvres, comment ne voient-ils pas que leur travail nourrit indirectement une vision du monde qui n’est pas la leur. Comme si ils avaient intériorisées l’impuissance médiatique de leurs œuvres ».

Anja Bopp, « Les images de l’art. Après le White Cube, encore un effort… », in F.A.Ze , 7 juin 2015 (trad. Emmanuel Guez).