Parution de « La mort de l’auteur selon Friedrich Kittler » d’Emmanuel Guez et Frédérique Vargoz dans le numéro 19 de la revue Appareil (direction Audrey Rieber et Slaven Waelti), « Friedrich A. Kittler : Esthétique et théorie des médias« .
Résumé : En 1900, Stéphane Mallarmé, Christian Morgenstern, Hugo Ball ou encore Stefan George bouleversent la création littéraire en produisant des œuvres qui semblent s’affranchir du sens en même temps qu’elles expérimentent les matérialités de la page, des lettres ou des sons. Une partie de la littérature ne se préoccupe plus d’ouvrir à un monde de l’imagination accessible par-delà les lettres écrites, et explore au contraire l’écriture automatique ou le pouvoir de signifiants qui font obstacle à l’intentionnalité de l’acte d’écriture. Mais un auteur qui ne se reconnaît plus dans ce qu’il écrit est-il encore un auteur ? Si à l’âge classique folie et littérature s’excluaient, le xxe siècle est le siècle d’une écriture qui s’écrit toute seule, et qui à ce titre échappe à l’exigence du sens pour devenir un simple jeu de symboles, c’est-à-dire un code qui ne peut se déchiffrer qu’a posteriori. Pour Friedrich Kittler, l’auteur est une fonction de son environnement média-technique et celui de 1900 est façonné par l’apparition du phonographe, qui enregistre ce que l’écriture échouait à dire (les bruits), du cinéma qui convoque l’imaginaire en agissant directement sur le système nerveux et de la machine à écrire qui permet d’écrire plus vite que l’on ne pense. Si tout s’écrit, que faut-il lire et comment ? Le tournant du xixe siècle est aussi l’époque en Europe d’une réforme pédagogique qui encourage les libres essais des élèves et non plus la lecture des auteurs classiques. La « mort de l’auteur », énoncée par Roland Barthes et Michel Foucault, est ainsi en réalité pour Friedrich Kittler celle de l’auteur de ce qu’il appelle le système d’inscription 1800, c’est-à-dire le réseau institutionnel et technique déterminant les modalités selon lesquelles les données peuvent être, à cette époque, adressées, stockées et traitées. Ce qui disparaît est le monopole d’une conception herméneutique de la lecture qui faisait d’un monde d’idées universelles le fondement et l’horizon de la littérature et de la lecture, pour laisser place aux matérialités de l’écriture et à une prise en compte renouvelée de la visualité de la page graphique.