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L’acteur est-il un nouveau média ?

« L’acteur est-il un nouveau média ? » est la note d’intention de la Sonde 03#11 – Chartreuse News Network 3. Le texte est publié sur le site des Sondes et dans la Lettre de la Chartreuse, n°76.

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En 1998, le blog drudgereport.com révélait la liaison du président Clinton avec une stagiaire de la Maison-Blanche, une information qui avait été passée sous silence par la rédaction du célèbre magazine Newsweek. En 2009, pendant les élections iraniennes, des opposants au gouvernement victorieux informaient le monde entier de la répression dont ils étaient l’objet grâce au site de microblogging Twitter.com. Ces deux événements ont fasciné l’opinion mondiale, non tant seulement par leur contenu que par la naissance d’une nouvelle forme de journalisme offrant la possibilité à chacun, journaliste ou non, de mettre des informations en ligne, y compris dans les Etats pratiquant la censure de l’information.

L’Internet n’a pas fait disparaître le métier de journaliste, il en a changé la nature. La rédaction des journaux est peu à peu remplacée par les éditeurs de communautés de bloggeurs et implique souvent un travail de veille sur les réseaux sociaux, et Twitter en particulier. En retour, le 24 octobre 2010, le New York Times annonçait qu’il avait plus de lecteurs sur Twitter que sur papier. Enfin, le journalisme d’investigation est libéré pour une certaine part des formes de censure a priori propres à l’économie de la presse. Ainsi le secret de l’information est-il mieux protégé par une résidentialisation des serveurs de certains sites d’information dans les Etats les plus libéraux en la matière, comme en témoigne l’expatriation des serveurs de Wikileaks dans les pays scandinaves. Rappelons que le site a publié à ce jour plus 480 000 documents militaires – certains étant confidentiels, provenant des témoins directs des actions militaires américaines et alliées en Irak et en Afghanistan, et notamment des soldats américains eux-mêmes.
Comment enfin ne pas mentionner la récente publication sur le Web de 250 000 câbles diplomatiques américains ? Ces câbles ont été traités par cinq journaux occidentaux réputés tout en étant triés et publiés grâce à un outil logiciel (State Logs) fabriqué en collaboration entre un site de presse en ligne (Slate.fr), un journal de presse traditionnel (Le Soir) et un site d’information participatif (owni.fr). Cette publication, unique dans l’histoire, est le symptôme d’une mutation de l’information, où, dans un monde interconnecté, les données informatiques – y compris les plus secrètes, deviennent un objet de journalisme.

Le lecteur-internaute est désormais un témoin en puissance, sinon un journaliste amateur. Il est aussi un spectateur de théâtre. Or le théâtre a su s’emparer de la presse à la fin du XIXe siècle comme il a su intégrer après la première guerre mondiale le cinéma d’information (Erwin Piscator), la radio et la télévision (Peter Weiss). Dans ces conditions, par quelles formes le théâtre peut-il traiter l’actualité telle qu’elle se fait aujourd’hui ? Une première question vient à l’esprit : comment une telle pièce de théâtre peut-elle s’écrire, car la temporalité du théâtre, fût-elle celle de la présence, n’est ni celle d’un fil d’information continue ni celle de la fabrication de l’événement. Les sondes de 2009 et 2010 avaient déjà été confrontées à cette question difficile. Mais dans le contexte que nous nous sommes fixés, une deuxième question apparaît : Quelle place faut-il accorder au spectateur-internaute ? Et surtout, comment une forme de théâtre, articulée sur l’actualité, peut-elle être pérennisée, autrement dit quel dispositif faut-il mettre en œuvre pour que, à l’instar des billets des bloggeurs, à peine réalisée, elle ne soit pas déjà une archive.

La sonde 03#11 fait suite à un atelier mis en oeuvre par Franck Bauchard et Eli Commins à l’école de la Manufacture de Lausanne en octobre 2010, où il était question du théâtre et de l’actualité. Les étudiants reviennent à la Chartreuse du 16 au 25 mars 2010, où, placés sous la responsabilité pédagogique des metteurs en scène Christophe Cotteret et Hauke Lanz, ils feront quatre propositions théâtrales visant à relier le théâtre et l’information participative. Ces propositions, présentées les 24 et 25 mars, seront enrichies de discussions sur les médias participatifs et le théâtre documentaire. Enfin, elles seront placées sous le regard attentif de l’auteur Mattéi Visniec et du metteur en scène Benoît Lambert.

Emmanuel Guez, 26 novembre 2010.