« Le web 2.0. – De nouveaux murs pour les artistes ». Une causerie au Centre de Préhistoire du Pech Merle, dans le cadre de la saison de 2011 intitulée « Et l’Homme créa l’image ». Le vendredi 21 octobre 2011 à 20h30. Ce qui suit en est la note préparatoire.
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– Il y a quelque chose qui me fascine : plusieurs millénaires après Lascaux une grande partie de l’humanité (600 millions d’hommes) se met de nouveau à raconter sa vie quotidienne sur un mur, le mur de Facebook. Le mur de Facebook et celui de Pech-Merle ont un point commun. Ce sont des fresques particulières. Ce sont des fresques performatives. Sur les murs de Pech-Merle, des mains au pochoir, dites « mains négatives ». Rituel vers l’au-delà (Clottes) ? Rites initiatiques (Guthrie) ? Geste pictural ou simplement décor ? Il reste que la main négative est un acte performatif. Celui ou celle qui peint laisse l’empreinte de son corps. Pourtant, les spécialistes s’accordent à dire que les mains négatives ne sont pas des signatures. Qu’est-ce donc que la préhistoire sinon cette période où l’on pouvait accéder à l’au-delà sans signature !
Je poursuis.
– Sur les murs de Facebook, il s’agit aussi d’une performance. Quotidienne pour certains d’entre nous. Mais contrairement à la main négative, le récit de soi facebookien implique une signature à chaque instant, signature patronymique, vraie ou fausse, signature du compte, signature électronique par l’adresse IP. Voilà la post-histoire : un accès au monde à la seule condition d’une signature, d’une identité, d’une identification – et donc d’une archive. Facebook conserve tout. En même temps, il vous permet d’accéder au théâtre global.
J’ajoute.
– Entre Pech-Merle et Facebook, ce fut le temps de l’histoire. À cette époque, qui est encore en partie la nôtre, l’accès à l’au-delà est, quoiqu’on en dise, réservé à ceux qui disposent d’une signature. C’est un monde de célébrités, de grands hommes, un monde d’auteurs, qu’il s’agisse de politiciens, de prophètes, de savants, d’artistes, d’entrepreneurs. Avec Facebook et le Web dit 2.0, la signature, si merveilleusement incarnée par l’identifiant et son mot de passe, devient aussi la condition nécessaire pour accéder à l’en deçà. Ainsi l’histoire s’achève-t-elle, accomplissant son œuvre, au profit de l’archivisation de chaque être – pour quelle fin ? – entraînant avec elle l’écriture et l’auteur.
Devant mon auditoire, je cherche mon nom sur Google, évalue mon degré d’existence, puis décris ce projet inachevé : Can You Lend Me…
– Pendant une semaine, un compte Facebook au nom d’Emmanuel Guez s’est approprié l’intégralité du profil Facebook d’une artiste : Annie Abrahams, puis la deuxième semaine, d’un autre artiste, David Guez. Il n’y a aucun moyen de distinguer les deux comptes, à part l’URL. Au bout de deux semaines, j’ai arrêté la performance. Il faut dire que j’ai recopié les données « à la main ».