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code-traduction

« code-traduction » est la note d’intention de la Sonde 04#10, en partenariat avec la DGLFLF du ministère de la culture. Le texte a été publié sur le site des Sondes et dans la Lettre de la Chartreuse, n°74.

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Depuis l’apparition des ordinateurs et plus particulièrement depuis leur mise en réseau qui a créé un environnement numérique planétaire généralisé, la notion même de traduction s’est étendue aux mondes des machines. La traduction n’est plus en effet seulement destinée à combler l’écart creusé par la diversité des langues humaines. Car l’homme et la machine ont, eux aussi, besoin de s’entendre. Les langages de la programmation se sont multipliés et se construisent à différents niveaux d’abstraction, à différentes distances du langage de la machine qui ne connaît que le 0 et le 1. Quand on parle de « traduction » en rapport avec l’informatique, on pense généralement aux programmes qui produisent des traductions automatiques entre les langues humaines. Or, l’opération de traduction automatisée connaît déjà une médiation par la machine, qui implique une autre opération de traduction qui la « précède » en quelque sorte, entre l’homme et la machine cette fois. Rien ne serait plus faux que de croire que cette couche exclut l’interprétation et donc ne relève pas de la « traduction ». Le simple fait qu’il existe une poétique du code suffit à nous donner l’assurance d’une dimension interprétative entre le langage machine et celui des êtres humains. Dans un environnement numérique, la notion de « traduction » se trouve donc impliquée à différents niveaux, y compris au niveau de la matérialité de l’écrit. Elle touche alors directement les notions qui accompagnaient l’écriture dans l’environnement de l’imprimé, comme les notions d’auteur et de lecteur, le rapport de l’écriture et de l’oralité et la représentation théâtrale de l’écrit.

La traduction d’une langue vers une autre n’en est pas moins affectée par l’environnement numérique. Les êtres humains, dont les communications et les échanges sont devenus quasi-instantanés et planétaires depuis quinze ans, ont peut-être plus que jamais besoin de se comprendre, à défaut de s’entendre. Avec le Web, le savoir s’articule désormais explicitement sur l’échange, la participation et sur le transfert de la mémoire individuelle vers un creuset commun sans cesse alimenté par des millions d’internautes. S’il est vrai qu’il reste encore à dominante anglophone (environ 35%), il est aussi multilingue et il tend d’ailleurs à l’être de plus en plus, principalement sous l’effet d’une multi-polarisation économique mais aussi du développement des logiciels libres. Pour répondre aux besoins de traductions, des logiciels spécifiques et automatisés ont vu le jour. Mais ils restent imparfaits. En revanche, des dispositifs collaboratifs de traduction, déclinant la pratique de la connaissance partagée sur le Web, proposent aujourd’hui de revoir les habitudes de la traduction fondée sur un auteur unique. Concernant le spectacle vivant, l’évolution et la diversité des propositions théâtrales européennes exigent de plus en plus des dispositifs de sur-titrage qui soient en rapport avec les dispositifs scéniques eux-mêmes, c’est-à-dire en rapport avec le temps réel de la représentation.

At last but …, les pratiques d’écriture du Web transforment les langues elles-mêmes. À l’image de la langue de Finnegans Wake, celle du flux génère sa propre langue, inventant sa propre sémiotique en lui conférant une dimension inter ou hyper-médiale. Traduire l’œuvre (volontairement) inachevée de Joyce, véritable métaphore du Web à venir, est une gageure qui consiste à inventer un nouveau « livre ». En un certain sens, Joyce invite son lecteur à créer son propre parcours de lecture, à traduire dans sa propre langue et sa propre pensée un flux continu de sons et d’images. Placée sous la double figure de Joyce et de McLuhan, dont la pensée avoue parfois qu’elle cherche à traduire en concepts la pensée de Joyce, la sonde 04#10 – Code-Traduction placera la traduction au cœur du mécanisme du langage, sans le limiter aux rapports intersubjectifs. En ce sens, elle explorera de nouveau, mais cette fois par le prisme de la traduction, les nouvelles manières d’écrire le monde comme il se dit et les nouvelles façons de le mettre en scène.

Emmanuel Guez, 10 février 2010.

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