« Les amis d’Ana » est une œuvre non-réalisée, un projet infructueux. La note d’intention. « Les amis d’Ana » inaugure la série « projets infructueux».
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NOTE D’INTENTION DU 11 AOÛT 2009
Le projet « Les amis d’Ana » est une oeuvre de littérature numérique et d’art internet qui peut s’apparenter à une œuvre de théâtre, de sculpture et de cinéma.
1) HETERONYMIE, LABYRINTHE ET REALITÉS
Le projet rend indiscernable les différents types de réalités (réalité matérielle, réalité fictionnelle). Création en réseaux. Interrogeant la fabrication d’un récit de soi, d’une image de soi, c.a.d d’une image du monde et des activités humaines, à travers un voyage autour du monde.
Principe de la commande d’artistes. Expériences de ces artistes confrontés à l’hétéronymie.
2) WEB
Le monde clos lié à la conquête spatiale fait naître une nouvelle citadelle intérieure : non pas le moi (la proairesis) des stoïciens mais le récit fantasmatique de mes événements, c.a.d le Web. La citadelle intérieure s’étend sur le Web.
3) VOYAGE
Ana est une informaticienne travaillant chez Siemens à Berlin. Elle est française. Elle parle aisément l’anglais, l’espagnol et d’autres langues encore. Quittée par son boyfriend allemand, Matthias, elle souffre de dépression. Elle décide alors de démissionner et de faire le tour du monde. Celui-ci prendra six mois.
Les voyages d’Ana pourront être réels ou fictifs. Ana voyagera grâce aux contenus glanés sur l’Internet. Il lui arrivera de voyager « physiquement ». Nul ne pourra distinguer si le voyage a eu lieu ou non.
Ana raconte son histoire essentiellement sur friendfeed, mais aussi sur facebook et twitter. Elle dresse le récit de ses rencontres, des événements ou non-événements de son voyage.
PROCESSUS D’ECRITURE
5 personnes (H/F++) sont sollicitées pour faire exister un personnage sur le Web, un ami d’Ana. Chacune de ces personnes inventera un ou plusieurs personnages ET/OU un ou plusieurs événements qu’il fera exister sur le Web à sa façon par le texte et/ou le son et/ou l’image et/ou une œuvre internet. Ex. : site, blog, page réseaux sociaux de toute sorte (facebook, twitter, friendfeed, …), jeux en ligne, sites de rencontres, …) et/ou Film – Installation – Performance documentés et dont les documents sont produits d’une manière ou d’une autre sur le Web. Les objets produits pourront être de toute sorte : vidéo, photographie, sons, dessins, etc…
Ex. : à Berlin, Ana reçoit une invitation pour un vernissage dans une galerie berlinoise. Ana inscrira son lien sur sa page facebook. L’un des artistes du projet crée le site d’une galerie (fictive) ainsi que les oeuvres (fictives ou réelles) qui y sont présentées. Fictives, ces œuvres n’existeront qu’en image sur le Web. Réelles, ces œuvres seront des œuvres dans l’oeuvre. Il pourra aussi solliciter une galerie pour exposer des oeuvres qu’il aura spécialement pour l’occasion ou encore organiser une exposition dans un lieu en faisant comme si il s’agissait d’une galerie, etc…
Rôle du public sur Friendfeed / Facebook. Les amis d’Ana ne se limiteront pas à ceux éventuellement créés par les artistes du projet. Tout nouvel ami est possible et peut s’associer à son récit. Cependant le visiteur n’est pas informé qu’il s’agit d’une fiction.
4) Le Manifeste d’Ana (version 5 octobre 2009)
1) Sur le Web, chacun peut produire des existences. La production de ces existences est un fait.
2) Les internautes ne sont conscients de ce fait qu’à des degrés divers. Ces degrés vont de la pseudonymie courante à l’hétéronymie artistique.
3) A quoi répond la production de ces existences ? Nombreux sont ceux qui soutiennent que l’homme a intrinsèquement besoin de s’évader. Aujourd’hui, ce besoin répondrait à son tour au sentiment partagé que nous vivons dans un espace terrestre clos, politiquement et économiquement géré de façon close. Ce sentiment étouffant serait un effet du premier vol habité.
4) Selon McLuhan, le premier vol habité a donné naissance à l’écologie, au sentiment que l’humanité doit prendre soin de la terre. Il nous faut alors admettre que prendre soin de soi, ce n’est plus seulement prendre soin de son âme mais aussi prendre soin d’une humanité qui a elle-même en charge son domicile. Ma citadelle intérieure – ce qui m’appartient selon les stoïciens, est désormais ce que nous partageons. Si le premier effet du vol de Gagarine a été l’écologie, alors le deuxième effet a été la création du web, qui a répondu à la nécessité de constituer un moi interconnecté avec l’ensemble de l’humanité. L’écologie de la terre est devenue synonyme d’une écologie du moi. La nature de mon existence dépend de la nature de mes connexions avec les autres existences. Une troisième écologie s’impose donc : une écologie des média.
5) Le moi connecté n’est donc plus ses représentations, comme le pensait Kant, mais la totalité de ses liens de l’espace terrestre clos. Les représentations sont secondaires, l’essentiel étant de maintenir et de renforcer nos liens de tous avec tous – peu importe ce qui circule pourvu qu’il y ait une circulation, une énergie mutuelle qui nous garantisse nos existences. Le moi de l’être connecté est hypertextuel, ce qui, au passage, est une nouvelle façon de décloisonner notre espace propre. Ainsi faut-il distinguer l’espace terrestre clos de l’espace-monde interconnecté qui, de par sa nature hypertextuelle, ne peut l’être.
6) Le moi connecté n’est pas un mais plusieurs : l’aliénation est son essence – la constatation d’une identité une relève déjà du passé ; il n’y a rien à regretter : cette constatation était un autre type d’aliénation. Cette pluralité du moi connecté se comprend par son besoin d’activité. Le moi connecté est un assemblage d’activités pour des activités multi-tâches, il ignore la vie contemplative, i.e. refuse la vie présente mono-orientée (Hayles). Se définissant par ses activités, le moi connecté se définit aussi par ses projets ; je suis mes projets et mes autres noms peuvent mener différents projets.
7) Le projet est la forme moderne du divertissement pascalien qui oriente mes actions. Il n’est pas proprement lié au Web mais plutôt au mode de production technologique avancé, appelé communément « Recherche & Développement » dans le monde industriel. Le Web a cependant profondément modifié sa nature. Le projet ne doit jamais cesser de se renouveler, sans quoi je n’existerais plus, car le projet me tient à l’existence. Rapporté au Web, ce qui advient c’est ce qui se partage ou est partagé (« to be shared »), c’est-à-dire ce qui est cité, incorporé (« to be embedded »), commenté, ce qui circule. Réformé par le Web, le projet ne peut plus se concevoir sans partage – le projet me fait parler. L’œuvre, de son côté, ne peut plus exister sans montage de projet – qui se fait à plusieurs. A vrai dire, l’œuvre réside dans son projet collaboratif et sa justification est la nécessité de partager. Sa réalisation importe assez peu.
8) Ce que l’on appelle à tort schizophrénie est un mode normal d’existence – le concept « IRL » (In Real Life) répond simplement à une identification liée aux exigences synallagmatiques de l’économie capitaliste.
9) En participant à un forum ou en laissant ses commentaires, l’internaute sait qu’il joue à un jeu, voire il sait qu’il joue un rôle. Mais jouer à un jeu et jouer un rôle sont deux choses bien distinctes. Dans le premier cas, les règles sont fixées de l’extérieur, par un tiers, et forment une contrainte. Dans le second cas, les contraintes existent mais peuvent être – et doivent, être interprétées. En ce sens elles ne sont pas des règles. C’est sur cette différence que repose le plaisir du spectateur d’une fiction sur le Web, sur la possibilité de pouvoir interpréter ce qui se joue. Interpréter signifie ici donner une valeur de réalité. Pour illustrer nos propos, prenons l’exemple du chat. Ce qui fait le succès du chat, comme ce qui a fait le succès du minitel rose, c’est que chacun peut éprouver son existence en la mettant en relation avec une autre existence dont il ignore tout. Le plaisir réside moins dans le contenu de l’échange que dans le désir d’évaluer la réalité de l’existence avec laquelle j’échange. Dans le cas du minitel rose, s’agit-il d’un partenaire réel ou d’un salarié ? Et finalement, dans un chat, s’agit-il d’un être humain ou d’un robot ? C’est cela que l’on cherche : confirmer son existence en mesurant la réalité de celle des autres, ce qui suppose que j’admette secrètement qu’il est possible que ceux avec qui je suis lié n’existent tout simplement pas.